- AFRIQUE - Les décolonisations
- AFRIQUE - Les décolonisationsAlors que s’achève la décolonisation en Asie, le mouvement s’est déplacé en Afrique, tout spécialement au Maghreb, en pleine ébullition. Il existe pourtant déjà un pays d’Afrique du Nord qui a obtenu son indépendance depuis plusieurs années: la Libye. C’est un précédent et un exemple. À leur tour, les nationalistes du Maroc, de Tunisie et d’Algérie s’efforceront d’utiliser le levier international, mais, si l’indépendance des premiers lui doit effectivement beaucoup, c’est avant tout à leur combat intérieur que les derniers la doivent.1. L’Afrique du NordLe sort des colonies italiennes et la naissance de la LibyeAu lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les anciennes colonies italiennes, Érythrée, Somalie, restaient sous administration provisoire britannique. La question de leur avenir fut une des premières questions abordées par l’O.N.U. La solution de la tutelle internationale était logique mais se heurtait à toutes sortes de difficultés.En Érythrée et en Somalie italienne, le problème était, à l’origine, régional. Grosso modo, il opposait aux ambitions de l’Éthiopie ressuscitée les aspirations de fractions ethniques locales. En Somalie italienne, les jeunes nationalistes «modernistes» se réclamaient d’une «Grande Somalie». En Libye, la rivalité de l’Ouest et de l’Est compliqua le problème, au départ. Les dirigeants britanniques estimaient que la sécurité de la Cyrénaïque, province orientale de la Libye, constituait une zone stratégique. Les Français prétendaient participer à la tutelle, à cause du voisinage de la Tunisie. Les États-Unis, entrés dans les affaires d’Afrique du Nord depuis la guerre, étaient animés par une double volonté de ne pas paraître soutenir les anciennes puissances coloniales auprès des Arabes et de ne pas ouvrir de nouveaux champs d’influence à l’Union soviétique. Or Staline entendait mettre à profit les circonstances pour assurer la présence de l’U.R.S.S. au sud de la Méditerranée et revendiquait aussi une participation à la tutelle.Le nationalisme s’était forgé dans la résistance de la San siyya à la conquête italienne. Cette confrérie avait aussi symbolisé une tentative de création d’un État arabe et musulman; mais elle était inégalement implantée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques avaient encouragé l’unification des deux provinces du Nord en un émirat san s 稜 sous la direction du sayid Mu ムammad Idr 稜s, chef légitime de la confrérie. Les divisions demeurent entre factions; toutes, cependant, veulent l’indépendance, encouragées de l’extérieur par la Ligue arabe.Devant ces situations complexes, plusieurs hypothèses étaient envisageables: des trusteeships collectifs ou individuels, avec ou sans une Italie réhabilitée après le fascisme, des partitions, une évolution vers le self-government. En réalité, les quatre Grands, la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et l’Union soviétique, ne purent se mettre d’accord sur ce projet, ni à l’O.N.U. ni à l’occasion des négociations de paix avec l’Italie. En mai 1948, l’O.N.U. délégua une commission d’enquête pour connaître les vœux des populations sur leur avenir. En réalité, dès septembre 1948, les Quatre constatèrent leurs désaccords sur la Libye et sur l’Érythrée. Des manœuvres byzantines se poursuivirent pendant trois ans.La commission de l’O.N.U. avait trouvé des populations profondément divisées en Èrythrée et n’avait pas indiqué de choix. En 1949, les Nations unies se prononcèrent alors pour la voie moyenne d’une «unité» autonome fédérée à l’Éthiopie, laissée sous administration britannique, et un commissaire de l’O.N.U. fut envisagé pendant une durée transitoire de deux ans. Le 15 septembre 1952, l’Érythrée fut incorporée comme État fédéral à l’Empire, et, en 1962, elle devint partie intégrante de celui-ci. Une opposition antiéthiopienne regroupant des chrétiens et des musulmans s’organisa alors au Caire, en un Front de libération de l’Érythrée, prêt à passer à l’action.En Somalie, les Britanniques cherchèrent en vain un accommodement avec Hailé Sélassié; ils renoncèrent à soutenir l’idée d’une «Somalie unie», et, quand il devint évident que le danger communiste était écarté en Italie, ils soutinrent avec les États-Unis et la France l’attribution d’une tutelle limitée à dix ans à l’Italie sur son ancienne colonie. L’Éthiopie protesta au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes... et fit occuper l’est de l’Ogaden; mais l’Italie sut assurer dix ans de calme aux Somaliens, à qui elle transféra le pouvoir en juin 1960. Ceux-ci n’avaient pourtant pas renoncé à l’idée d’une Grande Somalie. Elle commençait par une union avec le Somaliland, dont les Britanniques préparèrent dans une certaine hâte l’émancipation à la fin des années 1950. Elle fut accélérée par les démonstrations de masse qui suivirent l’abandon de terres de réserves dans l’Ogaden à l’Éthiopie. Ces hautes terres, indispensables à l’économie somalienne, redevinrent un enjeu majeur entre Éthiopiens et Somaliens. Cinq jours après l’indépendance du Somaliland, quand la Somalie italienne devint elle-même indépendante, l’union des deux territoires fut prononcée. Mais il s’agissait d’une souveraineté qui portait en germe l’un des plus violents conflits postcoloniaux.En Libye, les quatre Grands ne proposèrent aucune solution. Mais la priorité des Occidentaux regroupés dans l’alliance atlantique était d’écarter l’Union soviétique de la Méditerranée et de confier les rênes de la Libye à un pouvoir arabe stable et ami. Les Britanniques n’étaient guère convaincus par la capacité d’Idr 稜s à unir tout le pays derrière lui. Un plan anglo-italien, connu sous le nom de compromis Bevin-Sforza, échoua aux Nations unies, mais provoqua en mai 1949 des manifestations de masse à Tripoli qui trouvèrent un écho dans tout le monde arabe, aux États-Unis et à l’O.N.U. Bevin choisit alors de suivre les États-Unis, partisans d’une indépendance de la Libye tout entière, quitte à mécontenter les Français. Le 21 novembre 1949, une résolution fut votée par quarante-huit voix contre une et cinq abstentions (dont la France et l’U.R.S.S.) en faveur de l’accession à l’indépendance et de la réalisation de l’unité de la Libye dans un délai d’un an. L’Assemblée constituante, installée, fit d’Idr 稜s le souverain du royaume fédéral de Libye, le 2 décembre 1950, et ce dernier proclama l’indépendance le 24 décembre 1951. Le nouvel État, devenu royaume arabo-islamique de la Jamahiriya, devait être admis à l’O.N.U. en décembre 1955.Le Maroc et la TunisieAu moment où la Libye accédait à l’indépendance et allait grossir les rangs du groupe afro-asiatique à l’O.N.U., les questions marocaine et tunisienne faisaient irruption sur cette même scène dans des conditions infiniment plus dramatiques. Les positions de départ avaient été clairement affirmées à travers les manifestes de l’Istiql l en 1943, puis celui, en août 1946, du Front national tunisien, rassemblant les «néo-» et les «archéo-» du Destour. Les nationalistes pensèrent réaliser leurs objectifs par l’internationalisation. L’objectif immédiat était au moins d’obliger la France à des négociations. L’établissement de l’O.N.U., les intentions anticoloniales prêtées aux États-Unis, la confiance dans la France nouvelle, qui sortait de l’épreuve, et la formation de la Ligue arabe avaient nourri des espérances d’évolution rapide. C’est d’abord de ce côté que Bourguiba avait cru obtenir le principal appui, en rejoignant clandestinement Le Caire, dès mars-avril 1945. C’est du même côté que, après deux années d’expectative, le sultan Mo ムammad se tourna en avril 1947, par son retentissant discours de Tanger. C’est aussi dans le même but que d’autres Maghrébins, Marocains, Tunisiens et Algériens du Parti du peuple algérien (P.P.A.), gagnèrent Le Caire, où ils furent rejoints en 1947 par deux grandes figures, Allal el-Fassi et le vieux combattant du Rif Abd el-Krim, puis par Salah ben Youssef. Au début de 1947, l’atmosphère était à l’euphorie. Mais les nationalistes maghrébins furent vite déçus. Les pays arabes étaient trop divisés et trop faibles pour apporter autre chose que des déclarations de sympathie. De plus, les nationalistes «de l’extérieur» souffraient d’un évident manque de crédibilité. Néanmoins, c’est surtout auprès des États-Unis que les nationalistes espéraient trouver audience et appui, afin d’obtenir le débat tant souhaité sur l’Afrique du Nord à l’O.N.U. Ils multiplièrent démarches et voyages; des bureaux de propagande et un Office arabe auprès des Nations unies furent ouverts, mais les États-Unis, alors préoccupés par les priorités européennes, n’étaient pas favorables à une action qui affaiblirait un partenaire de l’alliance atlantique en cours d’élaboration.À partir de 1950, la situation évolua rapidement en Tunisie comme au Maroc. La fameuse déclaration de Robert Schuman, qui avait évoqué à Thionville, le 13 juin 1950, la possibilité d’une voie vers l’indépendance pour la Tunisie, avait paru amorcer des réformes constitutionnelles, et le Néo-Destour avait accepté de collaborer à un cabinet de dialogue formé par Mohammed Chenik, un ancien collaborateur de Moncef Bey. Pourtant, dès la fin de 1950 pour le Maroc, au cours de l’année 1951 pour la Tunisie, on était dans l’impasse. Plus encore, au début de 1951, le général Juin, qui occupait les fonctions de résident général depuis 1947, entama une nouvelle politique de force, avec l’appui des grands «féodaux» du Sud, contre le sultan et l’Istiql l, taxés de complicités et d’intelligences avec l’extérieur. En ce qui concerne la Tunisie, les négociations de janvier et d’octobre 1951 butaient sur des obstacles tout aussi insurmontables. La France mettait toujours en avant le préalable de la reconnaissance des traités de protectorat, des garanties pour les colons (les «prépondérants») et des liens privilégiés, voire l’appartenance à l’Union française. On paraissait accepter l’épreuve de force; l’arrivée, en janvier 1952, à Tunis du nouveau résident Jean de Hautecloque sur un croiseur fit figure de véritable provocation.À ce moment, la violence avait éclaté dans les deux résidences, et les crises entrèrent dans une seconde phase d’internationalisation. L’indépendance de la Libye en 1951 accéléra la mobilisation des États arabes. Ils chargèrent l’Égypte de déposer, le 4 octobre, une demande d’inscription de la question du Maroc à l’ordre du jour de la VIe session de l’assemblée des Nations unies, en novembre. Le débat s’étira sur plus d’un mois et aboutit à un ajournement, voté par vingt-huit voix contre vingt-trois et sept abstentions. Le «bloc» anticolonialiste se scinda à cette occasion, la majorité des pays latino-américains ayant choisi de composer. L’année suivante, l’épreuve de force éclata en Tunisie; elle détermina une autre offensive onusienne. Cependant, en décembre 1952, la proposition arabo-asiatique de créer une commission des bons offices, donc établissant implicitement la compétence de l’O.N.U., fut rejetée. L’attitude des États-Unis fut déterminante. La France multiplia ses efforts, finalement fructueux, auprès des Américains et des Britanniques pour éviter des condamnations à l’O.N.U. L’administration américaine et l’opinion informée aux États-Unis étaient inquiètes de l’évolution de la situation au Maghreb. Des contacts officieux et officiels existaient avec les nationalistes. Les États-Unis acceptaient de soutenir les réformes de la France en vue d’une autonomie interne des protectorats; mais, dans le contexte du développement de l’anticolonialisme, il leur était aussi impossible de négliger indéfiniment les adversaires de la France. En 1953, la relative inefficacité du levier extérieur laissait cependant les nationalistes et la France face à face dans un rapport de forces incertain. L’insurrection algérienne allait donner rapidement une nouvelle dimension à la revendication d’indépendance dans les deux protectorats. La Tunisie était la première concernée. Il est certain que l’évolution fut précipitée par la politique volontariste de Pierre Mendès France, arrivé au pouvoir en juin 1954, dans le contexte dramatique de la défaite française de Diên Biên Phu. Après novembre 1954, le risque de contagion de la violence armée en Afrique du Nord augmenta, car il existait déjà en Tunisie des groupes de moudjahidine, ou fellaghas, qui opéraient à partir de camps d’entraînement en Tripolitaine. Tandis que les militaires et le résident général en tiraient la conclusion qu’il fallait maintenir des forces importantes, pour Mendès France, au contraire, il fallait négocier avec les modérés du Néo-Destour, afin de s’assurer une Tunisie neutre, sinon amie, dans le conflit qui s’ouvrait sur son flanc ouest. La négociation entamée par le gouvernement Mendès France, poursuivie par celui d’Edgar Faure, aboutira sous le gouvernement Guy Mollet par la reconnaissance de l’indépendance de la Tunisie, le 20 mars 1956.Le processus, quoique plus long et plus laborieux, s’inspira des mêmes considérations pour le Maroc, où le terrorisme et le contre-terrorisme se déchaînèrent dès la fin de 1953. Comme en Tunisie, la politique de force conduisit à une impasse. De plus, la France craignait toute une série de complications extérieures: avec l’Espagne, qui couvrait les activités des réfugiés nationalistes et de l’Armée de libération marocaine (A.L.M.) dans sa zone; avec l’Algérie, où les fellaghas entretenaient des relations avec l’A.L.M. au Maroc espagnol; avec l’O.N.U., enfin, où devait s’ouvrir un débat sur l’Algérie à la fin de 1955 et où il était donc indispensable de s’assurer la sympathie américaine. Pour les gouvernants français à partir de 1954, il fallait donc liquider l’affaire marocaine et reconnaître, au Maroc, la seule autorité légitime capable d’enrayer les risques de djihad général au Maghreb: le sultan Sidi Mohammed. C’est dans ces conditions que s’effectua le retour triomphal du sultan au Maroc et la reconnaissance de l’indépendance du pays, comme celle de la Tunisie, en mars 1956.Au cours de ces deux dernières années, la guerre d’Algérie qui commençait a donc pesé de façon décisive sur le mouvement vers l’indépendance totale des deux protectorats et l’abolition des traités de 1881 et de 1912. Les nationalistes avaient continué de recevoir des appuis réels dans le monde arabe; à l’O.N.U., la France restait sur la défensive; enfin, les Américains ne cachaient guère leur impatience. Toutefois, le grand coup d’accélérateur fut donné par les Algériens, qui devaient naturellement en attendre la contrepartie. L’ambiguïté présidait donc, dès le départ, aux relations des deux nouveaux États, tant avec les Français qu’avec les Algériens, pendant l’insurrection en Algérie.L’AlgérieCe qui fut dénommé d’abord les «événements» d’Algérie, car on ne voulait pas leur reconnaître le caractère d’une guerre, avait commencé, le 1er novembre 1954, par une série d’attentats qui n’avaient effectivement pas l’envergure d’un véritable soulèvement populaire. Ils n’étaient pourtant ni négligeables ni imprévisibles. La révolte avait déjà grondé en 1945 à Sétif et à Constantine, et, si elle avait été réduite par une féroce répression militaire et surtout civile, celle-ci n’avait pas étouffé le désir de révolte. Du sein du Mouvement national algérien d’Ahmed Messali Hadj était sortie une «organisation secrète» qui préparait l’insurrection et devait donner naissance au Front de libération nationale (F.L.N.). Le sabotage du statut de l’Algérie en 1947, les élections ouvertement truquées éloignèrent encore les «modérés», déjà déçus par l’échec des espoirs d’intégration de l’avant-guerre et de la guerre. Les arrestations massives d’«agitateurs» et de «terroristes» mais aussi de nombre de modérés dans les jours qui suivirent la Toussaint de 1954 privèrent la France d’intermédiaires.Pendant plusieurs mois, pourtant, les choses restèrent indécises, et ce n’est qu’avec les massacres du 20 août 1955 qu’elles prirent une tournure irréversible. Devant l’extension des troubles, le gouvernement français obtînt du Parlement l’autorisation d’envoyer le contingent en Algérie. Les «événements» devenaient une guerre. Une guerre où tous les coups étaient permis; au terrorisme, l’armée répondait par l’encadrement des populations et la torture; au début de 1957, la «bataille d’Alger» illustra cette perversion d’une répression qui engendra une crise au sein de l’armée et de la nation. De plus, les initiatives du commandement provoquèrent l’isolement de la France: en octobre 1956, l’arraisonnement de l’avion des chefs du F.L.N., puis l’expédition de Suez, qui dans l’esprit du commandement devait aussi permettre de casser la direction du F.L.N. au Caire, et, le 8 février 1958, le bombardement du village tunisien de Sakhiet Sidi Youssef.Pour se défendre, les dirigeants français accusèrent les pays arabes, la Tunisie surtout, de complicité et le F.L.N. d’être un instrument du communisme international. Certes, le soutien des Partis communistes français et algérien fut réel et important, mais il ne traduisit jamais un accord sur les objectifs étatiques du mouvement national. Les relations du F.L.N. avec les pays de l’Est, spécifiquement l’Union soviétique, ont été également importantes. Mais elles ne se précisèrent qu’après 1956. Durant les deux dernières années de la guerre, dans le contexte de la reprise de la guerre froide, il s’agit d’un appui matériel (armes, prêts, dons, etc.) et diplomatique; en 1960, l’U.R.S.S. et ses satellites devaient reconnaître le Gouvernement provisoire de la République algérienne (G.P.R.A.) après la Chine et les États communistes d’Asie. En fait, le F.L.N. se voulait résolument neutraliste et se présenta très tôt en champion du Tiers Monde.Mais, dans l’immédiat, les nationalistes algériens cherchèrent à jouer l’opinion internationale contre la France, à l’O.N.U. spécialement. Celle-ci fournissait le cadre d’une internationalisation possible qui pouvait mettre la France en position défensive face à l’opinion internationale. Le F.L.N. puis le G.P.R.A. l’utilisèrent avec un succès certain. Dès septembre 1955, ils obtinrent l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de l’Assemblée générale. Après Suez, la France dut lutter pied à pied pour empêcher sa condamnation. En décembre 1957, la résolution votée était encore modérée; mais, après l’affaire de Sakhiet Sidi Youssef, devenue objet de l’opprobre de la majorité des pays, la France décida d’adopter la tactique de la chaise vide, ce qui ouvrait plus grande encore la porte à la propagande du F.L.N. En 1960, l’entrée des pays africains francophones à l’O.N.U. n’apporta même pas le contrepoids espéré. Le 19 décembre, la résolution 1573 appela à un référendum en Algérie sous les auspices de l’O.N.U. Le référendum, qui eut lieu le 8 janvier 1961, fut une victoire pour les Algériens et marqua l’ouverture d’une nouvelle période de tension entre la France et l’O.N.U., aggravée par l’intervention française à Bizerte en 1961. Finalement, le G.P.R.A. réussit à rallier suffisamment de pays pour isoler la France dans son dernier tête-à-tête en 1961-1962.Le F.L.N. visait surtout à isoler la France des États-Unis. Le bombardement de Sakhiet avait failli déterminer une crise majeure dans les relations franco-américaines. La tension créée par l’affaire de Sakhiet ne disparut pas, bien que la France ait accepté les «bons offices» anglo-américains. Ceux-ci traduisaient en fait l’énervement des Anglo-Saxons devant les «erreurs» d’une politique qu’ils désapprouvaient depuis longtemps et qui risquait, à leurs yeux, de faire glisser tout le monde arabe vers l’est.Le retour du général de Gaulle au pouvoir en mai 1958 ne fut pas suivi immédiatement par un changement fondamental de la conduite de la France. Le général se contenta d’abord de proposer la «paix des braves», que repoussa le F.L.N. transformé en G.P.R.A. en exil au Caire (septembre 1958). Malgré un effort militaire accru, l’application efficace du plan Challe et l’installation d’un barrage à la frontière tunisienne, la situation était politiquement dans l’impasse. Aussi, en septembre 1959, le général de Gaulle fit-il un pas décisif en annonçant un référendum reconnaissant le droit des Algériens à l’autodétermination. La réaction des coloniaux (les «pieds-noirs») et d’une partie de l’armée ne se fit pas attendre et se manifesta d’abord par la «semaine des barricades» en janvier 1960. Elle échoua mais préfigura la tentative beaucoup plus dangereuse de coup d’État des généraux (Challe, Salan, Zeller, Jouhaud), appuyée par les «ultras» d’Algérie et les éléments militaires extrémistes, en particulier les unités parachutistes, en avril 1961, au moment où un processus de négociation de nature à mener à l’indépendance de l’Algérie paraissait inéluctable. Ce fut un nouvel échec pour l’«Algérie française». Il engendra une dernière réaction extrémiste avec l’Organisation armée secrète (O.A.S.) qui sema la terreur en 1962, mais ne put qu’accélérer le désir de désengagement de la France et des négociations qui s’achevèrent à Évian en mars 1962.Cette décolonisation marqua, pour la France, la condamnation d’une conception de la puissance héritée du XIXe siècle et fondée sur la domination coloniale. Ce fut aussi une défaite et un drame. Tout au long de son déroulement, la guerre d’Algérie a été jalonnée de contacts, de négociations secrètes, d’occasions perdues, et au bout de sept ans les accords d’Évian se soldèrent par un bilan négatif à double titre: d’abord, le départ de toute une communauté pour qui le «rapatriement» était une sorte d’exil, ainsi que le drame de dizaine de milliers d’Algériens engagés aux côtés de la France; également, un incontestable recul en Afrique, dans la mesure où les accords d’Évian, déjà restrictifs, se rétrécirent rapidement comme peau de chagrin. En effet, la France dut renoncer à ses ambitions sur le Sahara et, bientôt, à ses espoirs de participation à l’exploitation du pétrole (participation qui prit fin avec la nationalisation de 1971), à une quelconque présence stratégique en Algérie (dès 1968, elle dut évacuer la base de Mers el-Kébir qui avait été concédée pour quinze ans), à un contentieux interminable et passionnel sur les indemnisations, la liberté des transferts financiers, la liberté des départs d’Algérie. Inversement, on a pu remarquer combien la France, une fois débarrassée de sa «boîte à chagrin», pour reprendre l’expression du général de Gaulle, s’est trouvée libre de mener une véritable politique extérieure.2. L’Afrique noireLa première phaseComparées aux décolonisations de l’Asie et de l’Afrique du Nord, les premières décolonisations en Afrique noire sont perçues couramment comme pacifiques et peu affectées par la rivalité Ouest-Est, au moins jusqu’à la crise du Congo en 1960. Jusque-là, en effet, l’ex-colonisateur avait maintenu des relations privilégiées à travers diverses constructions institutionnelles, Commonwealth, Union française, Communauté, coopération.L’Afrique noire anglophoneLa Grande-Bretagne s’engagea la première dans la voie de la décolonisation formelle en Afrique de l’Ouest, où la situation était plus «mûre» qu’ailleurs, et sur les marges du monde noir. Au Soudan, le problème était étroitement lié à l’avenir des relations anglo-égyptiennes. Le processus de transfert de souveraineté y fut très précoce. S’appuyant sur le statut juridique de condominium anglo-égyptien depuis 1898 et sur une histoire qui remontait à la conquête de cet immense territoire par les khédives du Caire au XIXe siècle, les Égyptiens réclamaient le rattachement du Soudan à leur pays. En riposte, les Anglais avaient encouragé la «soudanisation» de l’administration et la naissance d’une opinion publique. Au lendemain de la guerre, ils décidèrent d’y appliquer leur schéma de changements constitutionnels «gradualistes» vers le responsible government . Entre les deux partis qui avaient émergé, l’Asiqqa proégyptien (futur Parti national unioniste) et l’Oumma traditionaliste, invoquant l’héritage mahdiste, ils choisirent d’appuyer ce dernier et instituèrent dès 1948 une Assemblée législative représentant tout le pays. Lorsque les «officiers libres» prirent le pouvoir au Caire, les Britanniques négocièrent en février 1953 la renonciation de l’Égypte à ses revendications après une courte période de self-government et l’autodétermination des populations sous contrôle international. Mais, au Soudan, la nouvelle classe politique, incertaine du résultat d’une telle consultation, préféra accélérer le pas et obtint un calendrier fixant l’indépendance complète au 1er janvier 1956.Cette politique revêtait des caractères très ambigus. Tout d’abord, elle ne réglait pas le contentieux anglo-égyptien, car en 1954, au moment où Nasser acceptait de signer le traité avec la Grande-Bretagne, celui-ci était encore persuadé (avec juste raison, d’ailleurs) que l’autodétermination jouerait en faveur de l’Égypte. La hâte britannique à passer la main au Soudan constitua un facteur de plus de la crise de Suez. Par la suite, le Soudan n’entra pas dans le Commonwealth, mais il tint à maintenir des liens privilégiés avec la Grande-Bretagne, dont il pouvait espérer l’aide.En Afrique noire, trois objectifs essentiels guidèrent la conduite britannique: confier les rênes gouvernementales à des élites jugées politiquement responsables et représentatives, maintenir les États décolonisés dans le Commonwealth et, bien sûr, conserver l’Afrique dans le «monde libre». Ce fut relativement aisé pour l’Afrique de l’Ouest, où la décolonisation procéda d’une conduite beaucoup plus sûre, au point qu’elle parut longtemps démontrer la validité de la stratégie du Colonial Office et représenter un exemple d’évolution harmonieuse vers le Commonwealth. Dans ce schéma, la Gold Coast joua le rôle de pays pilote; un processus constitutionnel lui permit d’accéder au partnership dès 1951 et à l’indépendance complète, le 6 mars 1957; la Gold Coast, devenue le Gh na, fut ainsi la première colonie d’Afrique noire à accéder à la souveraineté internationale. En fait, l’exemplarité du cas provint essentiellement du pragmatisme des partenaires, responsables gouvernementaux travaillistes puis conservateurs d’un côté, Kwame Nkrumah de l’autre. Par ailleurs, les orientations du mouvement nationaliste furent aussi déterminantes: Nkrumah prétendit s’inspirer étroitement du modèle d’action de G ndh 稜 et, sous l’influence de George Padmore, répudia le communisme. Au-delà de son discours messianique, Nkrumah attachait une grande importance à la continuité d’une «special relationship» avec l’Angleterre et demanda l’entrée du Ghana dans le Commonwealth. À cet égard, la décolonisation de la Gold Coast détermina les Britanniques à accepter la transformation du Commonwealth en communauté interraciale d’États.La fédération de Nigeria aurait dû connaître des changements encore plus rapides que la Gold Coast, si cet immense territoire n’avait pas posé déjà le problème si grave de l’unité nationale auquel allait se heurter la plupart des «États héritiers». Dès 1947, les autorités locales cherchèrent une solution en consolidant les bases d’un État fédéral et en cherchant à faire collaborer les différentes forces socio-politiques à la gestion du pays; la principale difficulté était de concilier le conservatisme du Nord (entretenu par les ménagements dont l’aristocratie musulmane avait bénéficié de la part de l’administration britannique) et les aspirations modernistes du Sud. La marche lente vers l’indépendance ne refléta nullement une réticence britannique, mais plutôt un consensus pour chercher la solution la plus apte à préserver l’unité d’un État fédéral destiné à jouer un rôle essentiel dans l’Afrique nouvelle qui se dessinait. Sans atteindre l’importance de la Malaisie ou du Moyen-Orient, la fédération de Nigeria semblait promise à un avenir économique et politique dans lequel la Grande-Bretagne devrait s’assurer une place de choix. De plus, l’immense fédération jouissait d’une image particulièrement positive auprès des dirigeants britanniques; l’habitude des rencontres à l’occasion des tables rondes constitutionnelles et la dévolution de nombreuses responsabilités locales y avaient contribué. À la veille de l’indépendance, le «sérieux» des hommes politiques nigérians, à savoir leur anticommunisme, laissait espérer que le futur État jouerait un rôle stabilisateur et modérateur en Afrique face à Nkrumah. En 1960, le voyage de Harold Macmillan en Afrique en témoignait. Dans l’esprit des responsables britanniques, la fédération de Nigeria était destinée à devenir le grand partenaire africain du Commonwealth rénové, après l’indépendance du pays, le 1er octobre 1960; cependant restait la question entière d’une coexistence contre nature du Nigeria connu pour son militantisme antiapartheid et de l’Union sud-africaine, à l’intérieur de l’organisation commune.À des titres différents, l’accession du Gh na et de la fédération de Nigeria à la souveraineté internationale revêtit donc une importance particulière. On n’en peut dire autant de deux autres territoires de l’Afrique de l’Ouest anglophone, la Sierra Leone et la Gambie. Dans ces deux petits pays aux ressources très modestes, la Grande-Bretagne comptait agir sans hâte, avec les précautions nécessaires pour assurer une certaine «viabilité» aux États; elle le fit jusqu’en 1961, malgré des manifestations démontrant la montée d’une impatience populaire, de façon à léguer le pouvoir à des modérés, qui, eux, comme sir Milton Margaï, le Premier ministre de Sierra Leone, ne se montraient pas pressés d’accéder à l’indépendance.Autant la décolonisation britannique en Afrique de l’Ouest suivit-elle une route sans trop de heurts, autant celle de l’Afrique centrale et orientale fut-elle semée d’embûches dont la gravité finit par faire éclater le Commonwealth. Le problème fondamental s’articulait sur la double réalité du retard politique des Africains et des ambitions des settlers à contrôler de façon unilatérale l’évolution politique des territoires; la présence d’importantes minorités indiennes et l’existence d’une oligarchie arabe à Zanzibar compliquaient encore les choses. De plus, la situation démographique évoluait rapidement. L’immigration blanche en Afrique centrale et orientale continua dans les années 1950, si bien qu’en 1962 la populatuion européenne représentait, en Rhodésie du Sud, 220 000 personnes (pour la plupart des citadins) et 74 000 personnes en Rhodésie du Nord. Mais la progression des Noirs était encore plus rapide; elle atteignait près de 3 150 000 habitants en Rhodésie du Sud, 2 500 000 en Rhodésie du Nord et 2 900 000 en Nyassaland, à la même date; les Asiatiques et les métis étaient alors plus de 40 000 dans ces trois territoires.Il existait donc un risque majeur de voir se développer des conflits communautaires. Pour répondre à ce défi, le Colonial Office avait inventé la notion de société pluriraciale et jugé nécessaire d’engager des stratégies différentes selon les territoires. Là où le problème d’une colonie blanche n’existait pas, le processus de décolonisation fut le moins troublé... du moins à court terme. Ainsi, le sort de Zanzibar fut séparé de celui du Tanganyika, et l’île devint un sultanat arabe indépendant en 1963. L’Ouganda offrait un autre cas de figure: ici, ni risque de conflit entre colonie de peuplement et Africains ni enjeu stratégique prévisible, mais le risque d’éclatement de l’unité étatique sous la pression des forces ethniques centrifuges, ce qu’on appelait déjà le «tribalisme», principale cause de l’instabilité africaine postcoloniale. La politique britannique entendait conduire le pays vers une démocratie parlementaire, également représentative des différents groupes ethniques. Quand le kabaka (titre du souverain) tenta de se soustraire à cette centralisation unitaire et égalitaire, il fut déposé et déporté. Mais il fallut bien reconnaître que le souverain représentait une autorité incontestable, le réintroniser en 1955 et accorder des garanties au Bouganda dans le futur État indépendant. Cependant, à la différence du Maroc, le souverain et ses partisans ne représentaient qu’une partie (17 p. 100) des populations de l’Ouganda, construction coloniale parfaitement artificielle. Ainsi l’indépendance, effective le 9 octobre 1962, fut-elle le point de départ de violentes tensions internes, génératrices de guerres civiles successives, dont le premier acte se déroula en 1966-1967 avec l’abolition de la monarchie.Le Tanganyika offrait un troisième cas de figure. En dehors du statut de tutelle de l’O.N.U., une série de facteurs originaux caractérisaient le territoire: une colonie blanche beaucoup moins «sûre d’elle»; une diversité humaine trop prononcée pour permettre à un groupe ethnique de s’imposer aux autres; une véritable langue commune, le swahili; une petite-bourgeoisie administrative suffisamment développée pour contrôler la montée du nationalisme. Sous la conduite de son jeune leader, Julius Nyerere, le Tanganyika emprunta le chemin, tracé par Nkrumah, d’un développement constitutionnel régulier. Nyerere jouissait d’une image de modéré telle que l’option socialiste vers laquelle il affirmait engager son pays n’inquiétait pas réellement; le Tanganyika adhéra au Commonwealth et y demeura, même après la fusion avec Zanzibar.Dans tous les autres territoires de l’Afrique de l’Est, la «question blanche» rendit les changements difficiles et douloureux. En 1952, le Kenya fut le théâtre d’une des plus importantes révoltes africaines contre la présence coloniale, connue sous le nom de révolte des Mau-Mau. Elle éclata chez les Kikuyu des Hautes Terres, colonisées par des farmers blancs, et s’étendit également dans le prolétariat grandissant des villes comme Mombasa et Nairobi. Elle prit la forme d’une guérilla d’une extrême violence et exigea deux années d’opérations militaires pour la réduire; l’état d’urgence, proclamé en 1952, ne fut levé qu’en novembre 1959; mais le mouvement resta circonscrit et n’eut, en définitive, qu’un écho négatif à l’extérieur, tant les pratiques et l’idéologie des Mau-Mau parurent barbares à l’opinion mondiale, et aussi parce qu’il n’existait pas de réel enjeu Est-Ouest. La vie politique reprit en 1957 sur d’autres bases, appuyée sur un syndicalisme affilié à la C.I.S.L. (Confédération internationale des syndicats libres) grâce à Tom Mboya et, sur des couches sociales nouvelles constituées de petits entrepreneurs et de paysans enrichis. Avec la libération de Kenyatta en 1961, les nationalistes s’engagèrent dans la voie gradualiste que proposaient les Britanniques. Le transfert du pouvoir ainsi retardé jusqu’en décembre 1963 maintint le Kenya dans le camp occidental et le Commonwealth.Les Rhodésies et le Nyassaland posaient des problèmes infiniment plus délicats à cause de la très grande assurance affichée par les Blancs de Rhodésie du Sud, qui, dès 1923, avaient arraché à la Grande-Bretagne un statut de self-governing colony (sorte de statut de dominion sans le nom). Pour y faire face, le Colonial Office inventa en 1948, sous le gouvernement travailliste, la solution d’une fédération d’Afrique centrale rassemblant les Rhodésies et le Nyassaland, de peuplement blanc beaucoup moins important. En 1951, une conférence fut réunie à Victoria Falls pour en préparer la Constitution; en fait, les «hommes forts» en furent les Rhodésiens blancs Roy Welensky et Godfrey Huggins, chef du gouvernement. Aucun Noir ne participa à la conférence.La crise raciale débuta au Nyassaland, où les Blancs étaient trop peu nombreux pour interdire toute expression politique aux Noirs. En 1958, le docteur Hastings Banda lança son parti dans une action de désobéissance civique contre la fédération, tandis qu’en Rhodésie du Nord un mouvement de dissidence politique radical se développait sous la conduite d’un leader plus jeune, Kenneth Kaunda. En février-mars 1959, les graves troubles au Nyassaland obligèrent le gouverneur Armitage à proclamer l’état d’urgence, tandis que Welensky, promu Premier ministre de la fédération, pressait Londres d’accélérer le transfert des pouvoirs. En fait, une indépendance blanche se profilait derrière ces propositions. La solution d’une fédération «multiraciale» était à l’évidence dépassée. Un changement radical de politique en faveur des majorités noires était à prévoir. Ce fut l’objet essentiel de la tournée de Harold Macmillan dans les capitales africaines Accra, Lagos, Salisbury (l’actuelle Harare), Lusaka, Blantyre, Johannesburg, Pretoria et Le Cap, au début de 1960, et du célèbre discours qu’il choisit de prononcer au Cap, le 3 février, dans lequel il demandait aux Blancs d’accepter le «vent du changement» en Afrique. En Afrique centrale, il reconnaissait implicitement la faillite de la fédération et son éclatement. Les négociations furent laborieuses, mais le processus d’éclatement était maintenant inéluctable. Le 31 décembre 1963, le Parlement britannique entérinait la dissolution de la fédération, laissant les trois territoires choisir leur avenir: la Rhodésie du Sud conserva le statut de self-governing colony, la Rhodésie du Nord et le Nyassaland, rebaptisés Zambie et Malawi, entrèrent à l’O.N.U. en 1964.L’Afrique noire francophoneLa décolonisation de l’Afrique noire française apparaît, elle, largement comme un problème «mûri de l’extérieur»: à l’issue de la guerre, l’opinion, les partis et les gouvernants français n’étaient absolument pas prêts à envisager une perspective d’indépendance des colonies, tant la «reprise du rang» par la France dans le concert des grandes puissances s’identifiait à la grandeur de l’empire, un empire dont les pièces essentielles se trouvaient déjà en Afrique.L’insurrection qui éclata dans la Grande Île, en mars 1947 ne revêtit pas le caractère d’un soulèvement national, et elle ne posséda ni l’idéologie mobilisatrice ni l’organisation suffisante qui lui aurait permis de se comparer au Viet minh, que certains de ses leaders prirent tout de même comme modèle. Elle appelle plutôt la comparaison avec l’insurrection des Mau-Mau au Kenya et, comme elle, fut réduite brutalement par la répression coloniale.Dans un premier temps, l’Union française fonctionna donc avec efficacité dans les territoires de l’Afrique-Occidentale française (A.-O.F.), de l’Afrique-Équatoriale française (A.-E.F.) et à Madagascar, une fois l’orage passé. Les institutions de l’Union française furent des lieux d’apprentissage pour la «classe» politique en formation et des «espaces de sociabilité» pour les futurs africains qui purent y nouer des amitiés personnelles et des alliances politiques. Ces relations privilégiées avec le personnel de la IVe République ne furent pas à l’abri des remous de la guerre froide parce que le plus grand parti fédéral de l’Afrique noire française, constitué en 1946, le Rassemblement démocratique africain (R.D.A.), afficha son alliance avec le Parti communiste français et une sympathie ouverte pour l’Union soviétique. Au début de 1949, l’agitation dégénéra en véritable épreuve de force dans le territoire de la Côte-d’Ivoire, déclenchant un engrenage dangereux d’émeutes et d’arrestations. Le désamorçage de la crise, l’année suivante, par François Mitterrand, alors ministre de la France d’outre-mer, et Félix Houphouët-Boigny, le chef du R.D.A., eut des conséquences considérables. D’une part, en débarrassant le R.D.A. de l’hypothèque communiste, il permit d’ouvrir progressivement un dialogue; d’autre part, en mettant fin aux entraves de l’administration, il permit au R.D.A., après une période de purgatoire, de devenir en 1956 le grand parti de masse appelé à prendre les rênes des gouvernements territoriaux, excepté au Sénégal, où le R.D.A. avait dû reconnaître la suprématie locale du B.D.S. (Bloc démocratique sénégalais) de Léopold Sédar Senghor.À partir de 1954-1956, les données coloniales et internationales se modifièrent rapidement et profondément, imposant à la France un changement de conduite en Afrique noire. Une nouvelle génération, impatiente, ouverte au monde, formée par le syndicalisme ou les universités en métropole, arrivait à la politique avec des idées d’indépendance à court terme et, chez beaucoup d’entre eux, une adhésion à un «socialisme africain», plus ou moins marxiste. Au sein des organisations d’étudiants, des syndicats dégagés de leurs obédiences métropolitaines, de partis nouveaux, elle critiquait l’«impérialisme français», elle invoquait Bandoung et la solidarité des peuples colonisés, elle était à l’écoute de ce qui se passait à l’O.N.U., elle réclamait l’indépendance immédiate, dès la fin de 1957... Plus décisives encore furent la faillite évidente de l’Union française à partir de 1954 et la succession des difficultés et des échecs de la France outre-mer. Surtout, l’insurrection algérienne pesa d’un poids déterminant sur la politique de la France au sud du Sahara. Enfin, la perspective d’une liquidation de l’empire, excepté l’Algérie, n’était plus un sujet d’indignation en France, et même gagnait progressivement l’opinion publique, d’autant plus que le «précédent hollandais» démontrait que la prospérité de la métropole n’en dépendait pas, au contraire. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le succès des articles de Raymond Cartier qui furent à l’origine de ce qu’on appela le «cartiérisme».L’autonomie interne des territoires fut décidée par la célèbre loi-cadre votée en juin 1956. Présentée comme une simple loi de décentralisation, il s’agissait en réalité d’une loi fondamentale modifiant la Constitution de la IVe République; elle dotait les territoires d’une «personnalité» politique propre en instituant des exécutifs locaux responsables devant des assemblées législatives locales. L’autonomie était bien une étape vers une indépendance dont le principe était maintenant implicitement admis, mais dont les termes et le calendrier restaient à définir.L’évolution commença par le Togo et le Cameroun, avec des spécificités dues au statut particulier de ces deux territoires soumis au contrôle de l’O.N.U. En 1956, le plébiscite en faveur de l’intégration de la partie occidentale du Togo à la Gold Coast et la mise en place d’un gouvernement autonome au Togo français marquèrent la rupture définitive. L’O.N.U. entérina les résultats. Désormais, les deux Togos suivirent chacun leur destin. Au Cameroun, le processus fut beaucoup plus dramatique. Dans la partie française, les tensions n’avaient cessé de monter depuis mai 1955, lorsqu’en mai l’Union des populations camerounaises (U.P.C.), qui n’avait pas accepté le «ralliement» du R.D.A. et réclamait l’indépendance immédiate, s’était lancée dans une vague d’attentats dans le sud du territoire; ces événements marquèrent le début d’une décolonisation sanglante. La «rébellion» de l’U.P.C. eut certainement des caractères ambigus, tant le discours tenu par ses chefs en exil était éloigné des réalités locales, surtout dans sa dernière phase, à partir de 1959. Elle obligea à raccourcir les étapes du transfert de compétences entre les mains d’«amis de la France», si bien qu’en mars 1959 l’Assemblée générale de l’O.N.U. vota la levée de la tutelle pour le 1er janvier 1960. On assista, dès lors, au paradoxe d’une métropole désireuse de hâter l’indépendance du territoire qui lui était confié, face à un parti qui maintenant demandait son report. Le gouvernement camerounais du président Ahmadou Ahidjo et la France l’emportèrent largement à l’O.N.U.; mais, alors que la plupart des indépendances africaines furent saluées par des vagues d’enthousiasme, celle du Cameroun le fut par une vague d’attentats terroristes et désespérés. Pour la partie britannique, le problème fondamental fut, comme au Togo, celui de la réunification. La question devait finalement être tranchée sous le contrôle de l’O.N.U. Dans le Nord, le 11 février 1961, la majorité se prononça nettement en faveur du rattachement au Nigeria. Par contre, contre la Southern Cameroon, les partisans du rattachement au Cameroun oriental l’emportèrent largement. Le Cameroun devint ainsi le seul État fédéral et bilingue d’Afrique, issu de deux décolonisations.L’évolution du reste de l’Afrique noire française et de Madagascar se fit également par les étapes successives de l’autonomie de 1956 à 1958, puis de la Communauté de 1958 à 1960. Elles ont été maintes fois décrites. Du point de vue des relations internationales, elles furent marquées durant la première étape par la balkanisation, des anciennes fédérations de l’A.-O.F. et de l’A.-E.F., inscrite en filigrane dans la loi Defferre, qui permit la mise en place d’exécutifs locaux. Compte tenu du climat d’exaltation nationaliste de la fin des années 1950, la querelle entre fédéralistes (Léopold Sédar Senghor, Sékou Touré) et antifédéralistes (Houphouët-Boigny) était en fait gagnée d’avance par les seconds, quels que soient les bons arguments des premiers (services communs, marché unique, capacité budgétaire élargie et redistribution paritaire des revenus douaniers, plus grande crédibilité politique).Au cours de la dernière étape, précipitée et tumultueuse, l’idée fédérative n’était tout de même pas complètement évacuée; mais elle était condamnée, comme le montrent les tentatives avortées de fédération du Mali, (composée du Sénégal et du Soudan) et l’association entre la Côte-d’Ivoire, la Haute-Volta, le Dahomey et le Niger, dite entente Sahel-Bénin. La véritable question des années 1958 à 1960 était dans la définition des liens avec la France. En 1958, le général de Gaulle proposa une Communauté; la France y conserverait des prérogatives dans des «domaines réservés». En attendant de préciser les contours exacts du nouvel «ensemble», le général de Gaulle partit pour son fameux tour d’Afrique (20-27 août 1958), afin de présenter le choix possible aux Africains. Le 25 août, à Conakry, Sékou Touré prononça un discours que le général ressentit comme un affront. Les dés étaient jetés; au référendum du 28 septembre, tandis que les différents territoires répondaient par un oui «franc et massif», sauf au Niger, partagé, la Guinée répondait par un non écrasant. Aussitôt, la France retira son administration et son aide.Les conséquences du non guinéen furent capitales. La Guinée, vite reconnue et admise à l’O.N.U., fut reconnue par presque toutes les nations, l’U.R.S.S. dès le 4 octobre, la Grande-Bretagne et les États-Unis un mois plus tard et, enfin, Israël. Mais, victime de l’ostracisme de la France, elle se tourna vers les pays de l’Est – U.R.S.S., Tchécoslovaquie, R.D.A. Dans le même mouvement, la Guinée et le Gh na se placèrent alors en tête des pays africains «progressistes».Du côté de la Communauté, les nouvelles institutions s’avérèrent dépassées encore plus vite que celle de la loi-cadre. La marche vers les indépendances séparées et la mise en place de relations bilatérales furent très rapidement enclenchées. La fédération du Mali prit l’initiative en septembre 1959. Le 13 décembre, à Dakar, de Gaulle répondit solennellement par l’offre d’indépendance. Entraînés presque malgré eux dans le mouvement, les autres gouvernements de la Communauté suivirent; les transferts de compétence se firent ainsi de juin à septembre 1960, suivis des admissions à l’O.N.U. jusqu’en octobre 1961; la dernière admission fut celle de la Mauritanie, retardée par le Maroc, qui ne reconnaissait par l’existence d’un pays sur lequel le sultan prétendait avoir des «droits historiques».La phase finaleMalgré l’accession de quinze pays d’Afrique noire à l’indépendance en 1960, plusieurs décolonisations restaient encore en suspens, et se traduisirent par de longues années de conflits, à commencer par le Congo belge.Le Congo belgeEn effet, considérer que la décolonisation du Congo belge s’achève avec la proclamation de l’indépendance, le 30 juin 1960, ou encore avec la rupture des relations diplomatiques avec l’ex-métropole, le 14 juillet, est une solution commode, mais qui ne tient pas compte des réalités d’une crise qui débute et qui se traduit par la première intervention de l’O.N.U. dans les affaires africaines. Cette crise à rebondissements fut d’abord une crise de décolonisation stricto sensu en deux temps: l’accession à l’indépendance et la gestion des premiers temps de l’indépendance. Elle se prolongea par une crise révolutionnaire, qui en est directement issue et aggrava les risques d’intervention en Afrique.On a pu souligner les pesanteurs internes: la longue illusion belge d’une sécurité entretenue par l’apparente apathie des masses congolaises, l’étonnante modération des premières manifestations d’une opinion politisée à travers le manifeste de Conscience africaine, en 1956. Persuadés, avec une grande naïveté, qu’ils étaient les meilleurs colonisateurs, les Belges croyaient pouvoir tenir leur colonie sous une tutelle paternaliste vigilante et pacifique pendant des décennies, si l’on en juge par le tollé qui salua la parution en 1955 du plan de trente ans du professeur A. A. J. Van Bilsen.L’explosion populaire et urbaine, en 1959, fut sans nul doute le fruit d’une cristallisation brutale de frustrations et de griefs que la très grande majorité des Belges avait ignorés. Leur vigilance aurait pu être éveillée par les soubresauts qui avaient agité les centres urbains et les garnisons du Katanga industriel en 1944; mais ces reflets d’un malaise colonial s’étaient vite estompés et avaient été oubliés à la faveur du développement économique des années postérieures. Aussi furent-ils surpris par la politisation extraordinairement rapide des populations rurales et la radicalisation non moins rapide des positions des leaders. Cette dernière relevait bien d’influences extérieures, d’autant plus fortes que ces leaders appartenaient à une élite d’évolués , volontairement réduite à une minorité soigneusement maintenue dans l’ignorance du monde par l’administration. Or l’«enfermement» n’était plus possible en 1958. Les Belges furent d’ailleurs en partie les apprentis sorciers d’une brusque ouverture au monde. Ce sont eux, en effet, qui mirent involontairement en contact de nombreux Congolais avec les Belges de la métropole et des étrangers, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1958, à Bruxelles, pour laquelle ils firent venir une importante délégation d’«élites» de leur colonie. Même atténués par la surveillance, ils ne pouvaient pas non plus empêcher que les nouvelles de l’extérieur ne parviennent par la radio et par la presse au Congo, du moins dans la capitale, Léopoldville, située face à Brazzaville. Les échos du voyage du général de Gaulle en 1958 et de l’évolution rapide de l’Afrique francophone ne pouvaient être ignorés, d’autant plus que les populations des rives du bas Congo appartenaient aux mêmes ethnies et relevaient des mêmes obédiences religieuses. Le nationaliste le plus redouté des Belges est encore le leader de l’Abako, Joseph Kasavubu, mais Patrice Lumumba s’impose d’un seul coup à la fin de l’année, en organisant à son retour d’Accra le premier véritable meeting politique de masse, le 28 décembre. L’accélération de janvier 1959 à juin 1960 prit un caractère foudroyant. Deux événements transformèrent alors la crise belgo-congolaise en crise internationale: d’une part, la demande d’aide militaire adressée au Conseil de sécurité par le chef de l’État, Joseph Kasavubu, et le Premier ministre, Patrice Lumumba, le 13 juillet 1960, après l’intervention des troupes belges pour protéger les ressortissants européens des mutins et émeutiers dans les villes du Bas-Congo, le 10 juillet; d’autre part, la sécession du Katanga de Moïse Tschombé les 14 et 15 juillet.Malgré ses développements ultérieurs, la crise congolaise, à rebondissements, ne fut nullement dramatique dans sa phase de décolonisation proprement dite, pour la simple raison que la Belgique céda presque immédiatement à la pression nationaliste sans employer la force au cours des étapes accélérées vers l’indépendance. On ne peut donc parler d’une décolonisation «ratée» qu’en considérant la suite; le Congo devint un contre-modèle, y compris pour l’Algérie. L’enchaînement des complications qui conduisirent à l’internationalisation de la question congolaise accéléra l’entrée des Supergrands sur la scène africaine, par la suite, dans la décolonisation de l’empire portugais, de la Rhodésie et de la Namibie.Les colonies portugaisesLe paradoxe portugais réside sans doute dans le fait que, à l’heure où les autres «repliaient le drapeau», le Portugal le déployait. La colonisation portugaise en Afrique, plutôt déficiente avant la Seconde Guerre mondiale, se fit beaucoup plus présente après. L’émigration vers les colonies fut encouragée et s’accéléra surtout après 1960. L’Angola comptait déjà près de 175 000 Blancs en 1960 et constituait le troisième territoire de peuplement européen au sud du Sahara. Cette immigration, qui devait atteindre 550 000 personnes dans les colonies portugaises en 1973, était autant le résultat d’une intervention volontariste de l’État que celui du développement économique fondé sur le café et le coton en Angola et au Mozambique, dans la basse vallée du Limpopo. Dans ces zones, les tensions s’accrurent dangereusement, alors que l’attitude de l’Estado novo restait aussi intransigeante que par le passé.Pourtant, la contestation nationaliste s’était structurée dans les années 1950. Les futurs cadres des mouvements de libération en Guinée portugaise (Amilcar Cabral), en Angola (Agostinho Neto, Mario de Andrade), au Mozambique (Marcelino de Santos, Eduardo Chivambo Mondlane) appartenaient à la poignée d’assimilados et de mestiços ayant pu faire des études universitaires au Portugal. Ils s’étaient manifestés d’abord dans une revue culturelle. Mais ils avaient aussi été profondément imprégnés de culture marxiste et avaient coopéré avec le Parti communiste portugais clandestin.Le véritable coup d’envoi fut donné en 1961 par une série d’explosions en Angola, d’abord à Luanda, par des attaques urbaines (4-5 février) et une révolte rurale dans le Nord et le Nord-Ouest (mars). Mal préparées, elles échouèrent. Elles furent suivies de représailles civiles et militaires démesurées et sanglantes (30 000 morts? 50 000? ) et du déclenchement des exodes vers le Congo-Léopoldville (150 000 à 200 000 personnes en 1961, plus tard 400 000, ce qui constitue peut-être le premier exemple d’exodes massifs de réfugiés en Afrique tropicale). Une guerre de treize ans commença, qui ne se limita pas à l’Angola; deux ans plus tard, le P.A.I.G.C. (Partido africano da independência da Guinée e Cabo Verde) entra en guérilla, puis, en septembre 1964, le Frelimo (Frente de libertação de Moçambique). Le Portugal se refusa à discuter avec les «communistes» et rispota par une politique de peuplement accrue et de développement économique. Renonçant à son monopole d’investissement, l’Estado novo s’efforça aussi d’attirer les capitaux extérieurs vers l’exploitation des richesses minières et les projets de mise en valeur. L’entreprise la plus spectaculaire fut la construction du barrage de Cabora Bassa sur le moyen Zambèze.Le temps jouait néanmoins contre les Portugais, qui durent mener une guerre tous azimuts après 1965 et mobilisèrent des forces toujours plus importantes pour un conflit dont le coût devenait insupportable. En 1971-1972, le Portugal dépensa la moitié de son budget national à entretenir près de 200 000 soldats outre-mer. Or cet effort n’obtint pas les résultats escomptés. L’armée portugaise tint difficilement les pistes ouvertes en Angola et dut faire face à un nouvel adversaire, l’U.N.I.T.A. (Unão nacional para a independência total de Angola), créée par Jonas Savimbi en 1966. Au Mozambique, le Frelimo regroupe les forces du parti et peut reprendre l’offensive dans le nord (province de Tete), à partir de la Zambie. Surtout, en Guinée-Bissau, le P.A.I.G.C. réussit à organiser des «zones libérées» après 1968. Deux ans plus tard, le général de Spínola, alors commandant en chef des forces portugaises en Guinée, comprit qu’une issue purement militaire était impossible et fut le premier à mettre en cause l’archaïsme des structures bureaucratiques de la métropole.En 1973, le Portugal se trouvait dans une impasse. Le pays était de plus en plus isolé. Dans les raisons de l’abandon du combat par le Portugal, la crise de régime, la «révolution des œillets», venait pourtant en tête. En avril 1974, le «mouvement des capitaines» – qui devait devenir «mouvement des forces armées» –, ayant accédé au pouvoir depuis 1968, se présentait comme une junte militaire dirigée par António de Spínola. Il fit rentrer les exilés et accepta la collaboration gouvernementale avec les socialistes, dont le leader, Mario Soares, fut chargé de liquider la guerre coloniale. Les étapes ultimes ne furent pas franchies sans difficultés. Le sort de la Guinée-Bissau fut rapidement réglé, et l’indépendance fut négociée de mai à septembre 1974. Le cessez-le-feu fut réalisé en Angola et au Mozambique à la mi-octobre, mais au prix d’incidents extrêmement graves entre Noirs et Blancs et du retour de ces derniers, pour lesquels un pont aérien dut être mis en place à partir de Luanda. Les dernières résistances ne vinrent pas de Lisbonne, qui renonça vite à l’espoir d’une «communauté lusophone», mais des factions locales déjà aux prises dans la course au pouvoir. Les négociations menées principalement à Londres et à Alger traînèrent donc jusqu’en juin (Mozambique), juillet (São Tomé et Príncipe) et novembre 1975 (Angola). En réalité, pour le Portugal, le sort était jeté depuis août 1974, lorsque la Guinée-Bissau était devenue le cent trente-sixième membre de l’O.N.U.L’Afrique australeAprès la chute de l’empire portugais en Afrique, il ne subsistait de la domination coloniale européenne que des vestiges: la Rhodésie du Sud, le Sud-Ouest africain, dont les jours étaient comptés, même si le processus pouvait être long.La Rhodésie du Sud offre la particularité d’avoir été le seul exemple, au cours des décolonisations, de résistance coloniale organisée par les colons eux-mêmes. Le point de départ est constitué par la déclaration unilatérale d’indépendance de la Rhodésie, le 11 novembre 1965. Pendant presque une décennie, la Rhodésie blanche put s’opposer avec succès au combat des nationalistes et aux sanctions internationales. Immédiatement après la proclamation de la sécession, la Rhodésie fut condamnée par l’O.U.A. (Organisation de l’unité africaine) et par l’O.N.U. aussi bien que par la Grande-Bretagne. Le point culminant de la réprobation onusienne fut sans doute atteint en mars 1970, lorsque la Rhodésie décida de se proclamer république. Le geste était symbolique, mais il manifestait la volonté des dirigeants de s’engager dans une politique imitée de l’Afrique du Sud.La campagne internationale n’eut aucun effet décisif: l’O.U.A et l’O.N.U. durent se borner à appeler la Grande-Bretagne au respect des droits des Africains en Rhodésie, sans amener celle-ci à un accommodement. La Rhodésie blanche prouva sa capacité à faire face aux sanctions et à réduire les oppositions intérieures. Mais tout aussi importantes ont été les dissensions intestines qui déchirèrent les partis nationalistes. En 1966, la Zimbabwe African National Union (Z.A.N.U.) de Robert Mugabe était passée la première à l’action terroriste au nord de la Rhodésie. Chaque parti s’était ensuite doté d’un bras armé, et des camps de guérilleros avaient été installés aux frontières, en Tanzanie et en Zambie. Cependant, en 1971, un accord anglo-rhodésien était sur le point d’être conclu sur le dos des Africains. L’initiative britannique devait susciter une apparente réaction unitaire des nationalistes. La perspective d’une égalité politique des Noirs et des Blancs était rejetée vers un avenir incertain. Malgré tout, la situation évolua en faveur des nationalistes à partir de 1974, notamment grâce au recul portugais. Cette évolution du conflit amena la république d’Afrique du Sud, dès 1973, à proposer un arrangement conduisant la Rhodésie à une indépendance garantissant une majorité noire dans un délai de cinq ans. Dès 1974, les Rhodésiens furent obligés de riposter par les opérations classiques de contre-terrorisme et des raids meurtriers contre les camps au Mozambique. En 1976, la «solution interne» ne paraissait plus pouvoir être imposée que de l’extérieur. L’événement décisif fut la condamnation de la Rhodésie par les chefs d’État du Commonwealth réunis à Lusaka en août. Un mois plus tard, la conférence de Lancaster House, présidée habilement par lord Carrington, aboutit à un accord de cessez-le-feu et de gouvernement transitoire. Le Zimbabwe, à majorité noire, fut intégré dans la communauté internationale en avril 1980.Formidable enjeu économique, à cause de ses richesses minières – diamants, uranium, métaux rares –, l’ancienne colonie allemande du Sud-Ouest africain, rebaptisée Namibie par l’O.N.U. en 1967, avait été placée sous mandat sud-africain à l’issue de la Première Guerre mondiale. Mais la république d’Afrique du Sud avait petit à petit intégré la colonie. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, elle avait organisé un référendum, fortement encadré, concluant à l’incorporation du Sud-Ouest africain comme cinquième province de l’Union; l’O.N.U. avait réagi en refusant de reconnaître la validité du vote. La première phase de la question namibienne s’ouvrit donc sur une bataille politico-juridique (déc. 1946). Elle fut circonscrite à un affrontement entre l’Union sud-africaine et la majorité anticolonialiste de l’O.N.U. En 1949, l’Union sud-africaine décida de ne plus fournir de renseignements à l’O.N.U. En juillet 1950, la Cour internationale de justice rendit un «avis» favorable à l’Afrique du Sud, confirmant par huit voix contre sept sa tutelle sur la Namibie. Les pays anticolonialistes ripostèrent. Les pays africains purent faire voter plusieurs résolutions condamnant l’Afrique du Sud, et finalement la Cour internationale de justice, dont la composition avait changé, rendit un nouvel avis, en juin 1971, déclarant illégale l’occupation de la Namibie par l’Afrique du Sud. La bataille juridique était gagnée; il restait à gagner sur le terrain.La lutte armée débuta en fait dès août 1966 par des affrontements entre des forces sud-africaines et des éléments de la S.W.A.P.O. (South West African People’s Organization), mais les premiers chocs avaient tourné au désastre. L’activité de la S.W.A.P.O. ne fut pourtant pas annihilée. Aussi, les Sud-Africains tentèrent d’organiser un nouveau référendum dont ils espéraient un désaveu populaire de l’avis émis par la Cour. Cette fois, les principales forces sociales africaines se prononcèrent sans ambiguïté contre la présence blanche. Au début des années 1970, la S.W.A.P.O. put organiser à l’extérieur une branche militaire dite P.L.A.N. (People’s Liberation Army of Namibia). Face à ces développements, Pretoria engagea plus de troupes et adopta, sur le plan politique, une stratégie visant à encourager l’émergence des partis légaux et légalistes et à étendre la politique des bantoustans au Sud-Ouest africain. À l’O.N.U., qui réclamait le respect du droit à l’autodétermination des Namibiens, Pretoria répondit par l’autodétermination de bantoustans. C’est dans cet esprit que John Vorster réunit la conférence de la Turnhalle, qui élabora, en 1975-1976, un projet de gouvernement. En fait, la politique sud-africaine restait celle du «développement séparé».Les années 1974-1977 marquèrent un véritable tournant et le début d’une troisième phase, qu’on pourrait appeler l’«américanisation» du conflit namibien. La raison immédiate tenait, semble-t-il, à l’évolution de la situation en Angola, où une guerre de succession opposait maintenant le M.P.L.A., appuyé par les Cubains, à l’U.N.I.T.A., soutenue par l’Afrique du Sud. Des flots de réfugiés et de jeunes recrues vinrent grossir les rangs de la S.W.A.P.O. en Zambie et en Tanzanie. En 1976, la crise qui couvait au sein de la S.W.A.P.O. depuis plusieurs années allait laisser la direction effective de la S.W.A.P.O. aux partisans de l’amitié avec l’Est. Le programme adopté en juillet-août à Lusaka par le parti rénové prévoyait l’instauration d’une «société sans classe» et affirmait un non-alignement orienté vers la «solidarité anti-impérialiste internationale».Le «pourrissement» et la radicalisation d’une situation locale qui s’articulait à celle du reste de l’Afrique australe poussèrent donc Washington à un engagement plus ferme. En 1977, les Américains suscitèrent la formation d’un «groupe de contact» occidental (États-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Allemagne fédérale, France) au sein du Conseil de sécurité, qui devait servir d’intermédiaire entre les différentes parties en présence. Malgré le changement des données extérieures, une période de dix ans d’incertitude allait encore marquer la dernière phase de décolonisation de la Namibie. À plusieurs reprises, le dénouement sembla proche. En avril 1978, après plusieurs rencontres séparées du «groupe de contact», un compromis fut accepté par les adversaires malgré le vote de la résolution 432 incluant Walvis Bay dans le territoire namibien. Il en résulta le «plan des Nations unies» (résolution 435), qui resta la base du règlement de la question namibienne. Cependant, Pretoria pouvait se prévaloir d’un contrôle total du terrain et entendait prouver la non-représentativité de la S.W.A.P.O. En outre, la nouvelle orientation de la politique américaine du président Reagan, à partir de janvier 1981, sous la forme de la théorie du linkage , établissait un lien entre la solution en Namibie et l’évacuation de l’Angola par les troupes cubaines (qui atteignaient de 25 000 à 30 000 hommes en 1986). La république d’Afrique du Sud reprit la théorie à son compte, dont elle fit un préalable, d’autant plus que les «sanctuaires» de la S.W.A.P.O. se trouvaient en Angola. Obsédé par le danger communiste en Afrique australe et le syndrome de l’encerclement, Pretoria chercha alors à opposer une stratégie globale fondée sur la notion de «constellation d’États» protégés ou débarrassés des mouvements révolutionnaires, quitte à intervenir directement et à soutenir les mouvements d’opposition des pays de la «ligne de front». La possibilité d’un dialogue était donc ouverte, mais la position sud-africaine devait geler la question namibienne. L’issue précipitée de l’imbroglio namibien intervint en 1988. Une série de négociations réunirent des représentants de l’Angola, de Cuba, de l’Afrique du Sud, à nouveau sous les auspices des États-Unis. Le 13 décembre, enfin, un «protocole» fut signé à Brazzaville, et il fut entériné à New York, le 22 décembre, par la signature d’un accord tripartite (Afrique du Sud, Angola, Cuba).La «mise en application» du plan de l’O.N.U. fut réalisée à la date prévue (avril 1989). La Constitution rassurante du nouvel État écartait les tentations du socialisme et des nationalisations. Plus prudemment encore, la question de Walvis Bay fut réservée. La décolonisation de la Namibie apparaît, en conclusion, comme une victoire de la S.W.A.P.O., de l’O.N.U. et encore plus des États-Unis. Mais l’apparence est trompeuse. Le perdant semblait être l’Afrique du Sud. Cependant, l’Afrique du Sud conservait non seulement l’enclave de Walvis Bay, mais aussi le contrôle de fait de l’économie minière et agricole, de la monnaie et des échanges de la Namibie. On pourrait soutenir que, en admettant l’indépendance de la Namibie, l’Afrique du Sud a choisi une voie plus simple qu’auparavant pour former la «constellation d’États» destinés à entrer dans un marché commun d’Afrique australe... si, du moins, elle réussit son pari intérieur.
Encyclopédie Universelle. 2012.